Goeffrey Badel (Montpellier)
en résidence de recherches
Résidence mai 2018 / juillet 2018
Le point de départ du projet de résidence
« Looking for ghosts » de Geoffrey Badel a été exposée sur la F.L.A.C. du 7 avril au 6 mai.
L'artiste a pensé et produit cette image en amont de sa période de résidence à l'Espace o25rjj comme le point de départ de ses recherches dans la région.
« Looking for ghosts » est une photographie d'une action réalisée au Gouffre de l'Œil Doux dans le massif de la Clape dans le département de l'Aude. Je me suis immergé dans l'eau saumâtre jusqu'à ne plus pouvoir toucher le fond pour ainsi lever la main hors de l'eau. Cette photographie est la première étape de mon travail de recherches autour du gouffre.
La photographie révèle la présence d'un corps invoquée par cette main. Elle cherche à faire appel aux multiples fictions mélangées à des faits réels que génèrent ce lieu : La profondeur du gouffre reste inconnue par les scientifiques ; le commandant Cousteau y serait venu chercher un trésor, des baigneurs se seraient noyés à cause de résurgences, le bassin aurait été créé par le crash d'une météorite, les seuls animaux seraient des oiseaux bleus, l'Œil Doux serait le seul cénote en France, les Mayas considéraient ces puits comme un moyen de communication avec les dieux de l'inframonde, l'Eglise aurait caché tous les écrits du gouffre pour chasser les vieilles légendes, etc. …
À travers ce projet, je cherche à revisiter et à réactiver l'histoire de ce lieu chargé en superstitions et en faits divers. En récoltant des témoignages et des informations issus de livres anciens, je souhaite m'emparer d'une mémoire collective et mener une exploration aussi bien géographique que mentale.
Suivi de résidence
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Mai 2018 : Après avoir plongé dans l’eau du gouffre de l’Œil Doux, je choisis la maison hantée de Loupian comme autre espace d’expérimentation. Cette volonté d’agir dans un lieu paranormal s’explique par l’envie de tester et questionner ma perception du monde. En effet, étant une personne ayant l’habitude de douter – dans le sens remettre en question – sur ce que je perçois, je ne peux pas dire que je crois au paranormal. Cependant, lorsque je fais des recherches sur un lieu considéré comme « hanté » et que je m’y rends, quelque chose s’empare de moi - un sentiment de peur et d’attirance – ce qui me mets dans un état psychique et physique très particulier. C’est dans cet état que je souhaite expérimenter ma pratique artistique à travers une action dans ce genre de lieu. Agir dans un état mental modifié et influencé par le lieu et ses histoires. Rentrer dans l’espace de la mémoire collective. Laisser la possibilité au doute. Pratiquer dans ce type de lieu me permet également de désigner des lieux inhabituels pour l’expérimentation artistique. Je tente de troubler mon processus de création en agissant dans des espaces et des conditions qui me sont étrangères. Le contexte dans lequel j’agis influence mon action. J’incorpore le lieu et inversement. Je cherche à le réactiver à travers le corps. Je souhaite le ramener au « présent » par l’action alors qu’il semble en marge du temps.
Pour cette résidence, je prévois alors de réaliser plusieurs actions dans ce lieu pensées selon le cadrage vidéo. La forme finale sera une vidéo sonore présentant ces différentes actions à travers un montage particulier des images et des sons. Elle sera ensuite exposée et projetée dans une installation immersive du 12 septembre au 7 octobre 2018 à l’espace Saint Ravy à Montpellier.
Notes écrites pendant la 1ère phase de résidence :
« Croire c’est s’arrêter, douter c’est chercher. »
« Le lieu paranormal est un espace qui génère autant de récits imaginaires que de faits réels. La fiction et la réalité s’imbriquent et se mélangent au fil du temps créant ainsi une difficulté à les dissocier et un trouble sur l’histoire du lieu. Ce phénomène d’entremêlements s’explique en particulier par une transmission orale des histoires d’un individu à l’autre. La transmission orale rend l’information facilement malléable à la différence des écrits qui semblent figés. L’exemple du jeu du « téléphone arabe » le démontre clairement. La construction d’une réputation « paranormale » sur un lieu s’explique par les rumeurs. Certaines personnes répètent ce que d’autres leur ont raconté et sont convaincues de leur existence. Certaines personnes, sceptiques, ne préfèrent pas dire si elles y croient ou non. Certaines personnes énoncent les phénomènes étranges pour ensuite les réduire à des explications scientifiques. Dans chaque cas, la personne médiatrice encourage et entretient le mythe car rien qu’en racontant ce qui circule, rien qu’en conceptualisant et prononçant un mot du champ lexical du paranormal, elle fait en sorte de le désigner, le faire exister et donc le rendre réel. »
« C’est un espace physique enveloppé dans un gaz invisible et inodore chargé en signes semblant échapper à la raison, cette enveloppe peut être désignée comme l’aura du lieu. »
« Même en dévoilant les trucages d’un tour de magie, l’effet magique réside encore. »
« La maison hantée de Loupian est à présent une sorte de caisse de résonance où tous les bruits extérieurs (vent, passages des voitures, oiseaux, craquements d’arbres) viennent se répercuter à l’intérieur amplifiant leur son. Le volet central du dernier étage grince lorsqu’une rafale de vent traverse la maison : un son auquel nous lui attribuons toute l’histoire du lieu, un son qui brise le paysage sonore et qui nous provoque un léger élan de peur. »
Fin de la 1ère phase de résidence
Juillet 2018 : Cette deuxième résidence à l’Espace o25rjj m’a permis de finaliser le travail autour de la maison hantée de Loupian. Après avoir expérimenté les espaces du lieu (sur le mur cernant la maison, le jardin et l’intérieur) à travers différentes actions filmées (marcher sur le mur les yeux bandés, marcher à reculons, tenir en équilibre sur des débris, faire des « One minute sculptures » avec des objets trouvés, jouer sur l’équilibre d’un bambou posé sur mon doigt), mon choix s’est ensuite simplifié et précisé. La forme plastique qui résulte de ces expériences est une vidéo d’un seul plan fixe et d’une seule action : une vue de l’extérieur où l’on discerne la maison derrière le mur qui l’entoure, sur lequel je me tiens debout tentant de chercher l’équilibre du bambou sur mon majeur. Cette idée d’action m’est apparue intuitivement. La baguette est une forme récurrente dans mon travail, tout comme le gant. Elle m’intéresse autant pour ses qualités physiques que pour son histoire. Elle renvoie également à ma pratique du dessin. Elle est tel un trait incisif qui forme une fissure dans l’espace. Cette action filmée est donc étroitement liée à la pratique du dessin, au sens étymologique du terme : du latin designarer signifiant « désigner, marquer d’un signe ». L’histoire de cette maison vient ainsi se greffer à cette action. L’actuel propriétaire et les dizaines d’autres avant lui ne l’ont jamais habité non plus. L’hypothèse que la maison fut et soit désignée comme « hantée » depuis des années donnerait une explication à l’abandon de ses propriétaires. A travers ces recherches, je souhaite questionner le pouvoir du mot et de son énonciation, l’action de nommer les choses et sa répercussion. Le fait que cette maison soit dite « hantée », ne serait-ce pas la raison pour laquelle elle est à l’abandon aujourd’hui ?
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Oscillation est le titre de cette action filmée pendant l’aube où pendant vingt minutes je tente de faire tenir en équilibre la baguette sur mon majeur. La baguette oscille entre le rationnel et l’irrationnel. La lumière que procure l’aube dans la vidéo transforme mon corps en une silhouette. Ce phénomène nous renvoie à la tradition du « théâtre d’ombres » dont le rôle était de raconter des histoires religieuses ou des croyances populaires qui se transmettaient oralement. Mon corps en action devient alors un vecteur de l’histoire de la maison hantée de Loupian.
Reportage de 1989 sur la maison hantée avec son propriétaire:
http://www.ina.fr/video/MOC9112113203
Cette résidence a été soutenue par la Région Occitanie Méditerrannée
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