Eva Debra Debrecini est née en 1983, elle est hongroise, elle vit et travaille à Sète.
Nous sommes toutes et tous mortels, temporaires.
Nous, les choses ainsi que les êtres, aimerions être respectés, acceptés pour ce que nous sommes, exister avec dignité et en sécurité, tout en étant mutuellement conscient.e.s de notre fragilité.
Nous sommes des animaux, des plantes, des objets qui ne montrent leur véritable caractère qu’à ceux qui nous connaissent de près, au quotidien, en confiance.
Je m’intéresse à la frontière entre l’être intérieur et celui aperçu de l’extérieur. Nos corps nous trahissent. Je préfère penser que les choses et les êtres, comme était décrit l’esprit de dieu, planent au-dessus des eaux en métamorphose constante. On flotte librement, sans corps, sans forme, d’une existence à l’autre. Nous sommes interconnectés étant des formes diveres de la même unité que l’on appelle l’univers.
Mes créations servent à la mise en situation des êtres, faisant appel à tous les cinq sens – et au-delà – afin de décomposer cette frontière en osmose. Je crée mes performances et installations in situ : je traite l’espace comme un partenaire et pas comme simple décor. Pour ce fait, je suis souvent sollicité pour activer les installations d’autres artistes.
Née à Budapest, Hongrie, elle a quitté son pays pour la France en 2012. Formée en horticulture, danse, chant et diplômée en philosophie, psychologie, pédagogie, littérature et linguistique anglophone, ses études divers l’ont permis d’intégrer nombreuses équipes d’établissements allant de l’Académie de Montpellier jusqu’à l’Opéra National de Paris jusqu’à 2016, année à partir de laquelle elle se consacre exclusivement à la création. À l’opposée d’un artiste solitaire, EVADE préfère la collaboration. Elle était interprète d’une équipe de 15 pour Mass Over Volume, une performance de Liz Santoro, artiste associée de l’Atelier CDCN Paris au MAC/VAL à Val-de-Marne, faisait partie des 6 danseurs de Kneading Paradise de Florence Peak et Eve Stainton au Centre Régional de l’Art Contemporain Occitanie à Sète et des 4 Hôtesses de Mehryl Levisse au MO.CO. à Montpellier. Elle était l’unique performeuse de Narcisse (et d’Echo) de Oscar A au Festival Pléiades à Saint-Etienne et l’otage auto-incarcérée du court métrage Ailleurs.
Projet initial pour la résidence :
Mes recherches autour de la construction de l’identité et sa fluidité m’amènent à voir l’être dans chaque espace-temps comme plein de possibles, limité seulement par sa façon de voir ce qui lui entoure. L’ “être intérieur” est un regard posé sur l’individu par soi-même. Il revendique connaître l’individu mieux que les autres alors que le seul à priori qu’il pourrait négocier est qu’il passe plus de temps que n’importe quel autre avec dudit individu.
De la même manière, dès que l’individu change d’espace-temps, son regard posé sur son être sera différent. Il n’y a pas de passé, ni de futur, il y a juste le regard du présent qui pense d’une façon ou d’une autre du même événement. Comment construire donc avec cet être fluide, constamment en devenir ?
Quand on parle de comment on pense à quelque chose, on dit qu’on réfléchit. Cette réflexion décrit bien ce dont j’essaye d’analyser la nature : le regard sur soi est une réflexion aussi, et comme c’est le cas pour toute lumière ou son ou autres matières limités par les lois physiques de cet univers, la réflexion vient forcément plus tard que la réalité.
Comment peut-on arriver à s’approprier sa réalité donc sans ce retardement ; est-ce possible ?
Les états d’esprit particuliers comme le flow, les rêves, la trance ou la méditation me paraissent être propices à s’amener vers la présence, qui est proche de la réalité. Ces états peuvent réunir ce que mon regard sur moi-même n’arrive jamais à attraper car toujours en délai.
Une sensation forte peut évoquer un état de flow, où les pensées circulent sans l’analyse critique habituellement présent dans notre “conversation intérieure”. Pendant ces moments exceptionnels, on peut être l’individu sans être coincé entre extérieur et/ou intérieur. On se rencontre, on s’unifie avec soi-même, on retrouve le goût d’être, de vivre, d’expérimenter.
Ce n’est pas par hasard que le moment où on se rend conscient du fait qu’on a eu un moment de flow, on ne l’a plus. C’est le regard en retard qui a remarqué ce qui n’est plus présent.
À la recherche de ces sensations, j’aimerais trouver l’expression plastique de cette réunion avec soi en compagnie d’auteurs comme Yuval Noah Harari, Alice Walker, Julietta Singh ou Donna Haraway.
À la fin de la résidence, je souhaiterai réaliser une série d’images à exposer dont une serait imprimé en grand format et exposé dans l’espace public à Loupian. Pour ce faire, je ferai appel à un photographe avec qui je travaille régulièrement, Johan de Fourcroy.
Être végétal, être fluide
Dans une de ses nouvelles, l’écrivain hongrois Gyula Krudy parle de La femme qui est devenue une grappe de raisin. Il décrit avec poésie les femmes de Tokaj qui foulaient les raisins en “dansant” dans des bains et conclu en disant qu’en ouvrant une bouteille du vin même plusieurs années plus tard, on ne peut éviter à penser aux femmes qui l’ont produit.
Comme le génie enfermé dans la bouteille, les femmes resteront à part entière du raisin et donc du vin produit de ce dernier.
Nous sommes constructeurs ainsi que bénéficiaires de ce que la terre propose. On ne peut pas séparer l’être humain et la nature. Nous, êtres, choses et phénomènes, sommes tous des résultats temporaires et fragiles de notre interdépendance dans la zone critique.
Devenir vigne, raisin et du vin : à la cave viticole, on est agent.e et témoin.e de ce métamorphose au quotidien, le suivant du près. Je souhaiterais m’inspirer de ce savoir-faire, observer les démarches de plus près afin de trouver accès à cette transformation que Coccia appelle “le flux d’identités et la transmigration infinie de matière”. Cette danse de devenir des matières m’intéresse, j’aimerais l’étudier, la transcrire en mouvement humain, capturer son essence, lui donner une forme plastique.
J’aimerais devenir vigne, raisin et vin afin d’expérimenter ces modes d’existence. J’aimerais proposer un point de vue qui est celui de la matière en train de se transformer, celui du paysage qui nous regarde agir sur lui. Ainsi, j’ouvrirai une nouvelle porte d’empathie, un pont, un lien entre ces identités : de l’être humain par le végétale jusqu’au produit comestible.
Méthodologie : même si j’arrive avec une intention, je préfère laisser émerger diverses formes au cours de la résidence (intervention, performance, installation, photo, audio-vidéo ou plus). Pour la restitution, je ferai une sélection exigeante et ne garderai que l’essence de la recherche.
Pour m’échapper du piège de l’hypocrisie environnementaliste, mes créations sont dès la conception écologiques. Ainsi, je considère l’espace dans laquelle je travaille part entier de la proposition : je crée avec ce que je trouve sur place (recyclage) ou peu de matière, attentive au cycle de vie de chaque unité, respectant toujours l’environnement sur le court, moyen et long terme.
La médiation fait également partie intégrale de mon travail. Ancienne chercheuse-pédagogue, j’aime partager mes recherches avec le public par divers moyens : des restitutions, des projections, des installations, des discussions, des ateliers et je suis également ouverte à expérimenter d’autres formes.
Loupian me paraît un endroit plein de ressources et l’Espace O25RJJ m’a l’air idéale pour s’installer et se familiariser avec les villageois.e.s et les producteurs (et produits) locaux afin de développer ce projet.
Pour en savoir plus sur le travail de l'artiste :
https://www.instagram.com/art_qve/
https://www.facebook.com/debracska
https://evadebreceni.wordpress.com/home/
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Cette résidence est soutenue entre autres par la Région Occitanie Méditerranée